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Propos intempestifs, retours à la parole des anciens

Propos 13 : "Vaincre ou mourir", film sur un génocide occulté

Film de Paul Mignot et Vincent Mottez, Production du Puy du Fou Films (sortie 25 Janvier 2023).


C'est un film assez captivant par sa dimension romanesque, certainement fidèle à la réalité historique de la guerre de Vendée, cautionné en avant-propos par des historiens. À l'origine, en effet, plusieurs historiens professionnels ont été consultés par les réalisateurs : Jean-Clément Martin (professeur émérite à l’université de Paris I-Panthéon-Sorbonne) [1], Anne Rolland-Boulestreau (Professeur d'Histoire moderne · Université catholique de l'Ouest, membre de la Commission Recherches à l'UCO), Raynald Secher (docteur d’État, Paris IV-Sorbonne), Nicolas Delahaye (auteur-historien) et Anne Bernet (essayiste, spécialiste de la chouanerie).


Parmi eux, Reynald Secher est l’historien qui, lors de sa thèse d’État soutenue en 1985, a proposé et tenté de faire reconnaître la notion de "génocide vendéen" pour qualifier les agissements des Républicains de la Convention jacobine. À remarquer que ce brillant docteur ès Lettres qui a travaillé sous la direction de Pierre Chaunu, n’a jamais été titularisé comme professeur par l’Université « puisqu’il pensait mal ». Il se trouve que la soutenance a eu lieu à la veille de la célébration du bicentenaire de la Révolution française. Bref, une thèse d’État qui faisait désordre.


Ce que montrent R. Secher et les réalisateurs du film en particulier, c’est que la révolte provient du peuple vendéen, non pas des nobles ou des prêtres réfractaires. Ce n’est donc pas une contre-révolution à proprement parler, mais une révolte au départ informelle d’une population principalement paysanne régissant contre la conscription obligatoire, et, surtout, contre la première émanation du totalitarisme moderne d’une cruauté insoutenable. Par conséquent, le héros du film, le chef vendéen choisi par les insurgés, François Athanase Charrette de la Contrie, ne doit pas être assimilé à un ennemi pur et simple de la Révolution française, à un partisan actif de la restauration de l’Ancien Régime. Il devrait plutôt être reconnu comme un héros de la Révolution qui a su prendre les armes contre la première forme de totalitarisme moderne.


R. Secher : « Ma participation dans le film Vaincre ou mourir a été une participation en tant qu’historien scientifique dans le cadre du docu-drame (qui était initialement prévu). C’est un film d’une très grande qualité. C’est un film français, avec des capitaux français, avec des réalisateurs français, d’une énergie toute française. Ce film relate l’histoire du général Charrette. Tout ce qui est dit dans le film est vrai. On le présente sous une forme romanesque parce que la vie de cet homme exceptionnel est romanesque. Mais tout ce qui est dit est vrai, y compris son exécution, y compris l’exécution du général Couëtus qui est absolument atroce, parce qu’il avait la garantie de la part de la République que s’il se livrait, il aurait la vie sauve (…). Les Républicains de l’époque n’ont aucun sens de l’honneur et n’ont aucun sens de la parole donnée. Donc ce film est un très bon film contrairement à ce qu’en disent les critiques. On peut citer les pages d’une bêtise absolue par le torche-cul de Libé (…) » [2].


Le fait que le scénario du film soit écrit par Nicolas de Villiers, fils de Philippe, que la mise en scène soit organisée par Le Puy du Fou, subventionnée par Canal+ de Vincent Bolloré, tout cela, pour les gauchistes de Libération du Monde, ne peut que disqualifier le film à la base. Notons, d'ailleurs, que ce film n’a bénéficié d’aucune publicité sur les ondes, mis à part Cnews.



Conclusion de R. Secher :


C’est un film qu’il faut voir, c’est le film sur un des plus grands héros de la Révolution française, qui a su dire "non" au totalitarisme d’État, pensé, conçu, mis en œuvre par le Comité de salut public et la Convention.



Cette œuvre n'est peut-être pas excellente (je ne suis pas suffisamment cinéphile pour en juger). C'est néanmoins un film à voir. Il est tout de même étonnant qu'un projet cinématographique retraçant un moment-clé de la Révolution française, où l'on voit, à travers l'histoire d'un héros authentique, comment se sont perpétrées les atrocités de la Terreur, n'ait pas bénéficié du moindre soutien de la part des autorités étatiques et médiatiques. L'occasion n'a même pas été saisie pour en faire l'objet d'une mise au clair, d'un débat sérieux entre historiens qui, certainement, aurait été passionnant. Les partisans inconditionnels de la Terreur seraient-ils toujours parmi nous ?


Bref, un film intempestif !









Le premier totalitarisme à caractère génocidaire apparu dans l’Histoire


Deux périodes globales dans la guerre de Vendée, selon Reynald Secher [3] :


1ère période : c'est la guerre civile qui commence en mars 1793 et se termine en 1799. Cette guerre n’est pas propre à la Vendée (on la retrouve dans de nombreuses provinces et cités, Vendée, Bretagne, Pays normand, Berry etc., Toulon, Lyon, Marseille) : « les historiens admettent que 70% de la France est insurgée contre le pouvoir totalitaire de la Convention »). Lyon, par exemple, défend le girondisme, le fédéralisme. La Vendée militaire [4], territoire immense (entre Paimboeuf, Angers, Niort, Sables d’Olonne), se distingue parce qu’il n’y a pas de tradition insurrectionnelle, donc pas de forces de répression au départ, ceci d’autant plus qu’il n’y a pas de grandes villes. La Vendée militaire était peuplée de 815 000 habitants, alors que la France comptait 28 millions d’habitants. Les Vendéens, comme partout en France, vont s’insurger au nom de la Liberté (penser, être, croire, agir…) contre la Convention jacobine qui a imposé la Terreur.


2ème période (28-juillet 1793 - 2 décembre 1794). C’est la période génocidaire proprement dite qui cible spécifiquement les "Vendéens" : au sein de la grande période de guerre civile, se met en place un système d’extermination et d’anéantissement conçu au plus haut niveau de l’État, par le Comité de salut public, voté (c’est unique dans l’histoire de l’humanité) par l’Assemblée nationale: le Peuple souverain décide l’éliminer une partie de lui-même non pas pour ce qu’il a fait mais pour ce qu’il est. Il n’y avait pas de mot pour qualifier une telle politique d’extermination. Gracchus Babeuf a cherché un mot pour qualifier cette tuerie à grande échelle. Il a parlé de « populicide ». Plus tard, en 1935 pour qualifier les crimes commis par l’URSS, un avocat juif polonais, a proposé le terme « génocide ».


En 1945, lorsque le Congrès de Nuremberg se réunit, le terme « génocide » sera retenu a posteriori pour qualifier les crimes nazis. Une définition a été proposée à Nuremberg. Il y a trois sortes de crimes génocidaires : la conception puis la réalisation partielle ou totale de l’extermination d’un groupe humain ethnique (racial) ou politique ou religieux.


Quand R. Secher s’est penché sur la question vendéenne, il lui a fallu trouver le mot adéquat : il a retenu le terme de génocide parce que ce qui s’est passé correspondait parfaitement à cette définition : les trois cases peuvent être cochées puisque les Vendéens sont identifiés par la Convention comme devant être « exterminés » à la fois une population déterminée (les Vendéens en tant qu’hommes, femmes, enfants, vieillards) [5], une entité politique et un groupe religieux réfractaire. Avant 1985, que ce soit pour les vainqueurs ou les vaincus, tout le monde considérait les événements de Vendée comme relevant d’une guerre civile, avec de part et d’autre des abominations.


R. Secher dit cependant avoir commis une erreur dans de sa thèse d’État, en ayant limité ce système à la législation, c’est-à-dire aux trois lois qui ont été votées par la Convention : loi du 1er Août 1793, loi du 1er Octobre 1793 et la loi du 7 Novembre 1793. En 2011, Secher a eu accès à l’intégralité du dossier et a pu constater que le système d’extermination et d’anéantissement, contrairement à ce qu’il avait cru en 1985, n’avait pas duré trois mois mais un an et demi, que ce système se décomposait en quatre plans, 1er plan (28 Juillet 1793) ; 2ème plan (10-11 novembre 1793) qui ciblait expressément les Vendéens qui avaient traversé la Loire, à l’occasion de la Virée de Galerne. Le 3ème plan est celui de Turreau (responsable des « colonnes infernales »), le 21 Janvier 1794. Enfin, un 4ème plan (10-11 mai 1794 qui va durer jusqu’au 2 décembre 1794). Le système aura duré non pas 3 mois mais 16 mois !


Remarque : R. Secher a dès lors introduit le terme de « mémoricide » pour qualifier le fait même que ce génocide avéré a été totalement occulté dans l’histoire officielle :


L’acte d’oubli, de manipulation de l’histoire se situe dans l’acte même d’extermination lui-même. [Ce dernier] est la fondation de l’acte mémoricidaire, acte mémoricidaire qui dure toujours. C’est ce qui fait qu’à l’heure actuelle, la France rend hommage à des criminels de guerre. Par exemple, le fondateur du gazage, le premier homme politique qui a réfléchi sur la manière d’exterminer la population, s’appelle Fourcroy [6], qui est un député de la ville de Paris (…). Ils vont faire des essais et cela ne va pas marcher (...). Vous en avez d’autres aussi qui ont créé les fours crématoires. Par exemple, Amey qui est un général suisse qui sert l’armée française. Son nom est sur l’Arc de Triomphe (colonne 1, pilier Nord). Mais le grand criminel qui a tout orchestré en Vendée sur le terrain, qui a tout conçu, c’est-à-dire les plans d’extermination, les méthodes, etc., le général Lazare Carnot, a reçu les honneurs de la République, a été mis au Panthéon [7]. On peut citer ainsi des dizaines de gens qui, alors qu’ils sont des criminels contre l’humanité, ont été glorifiés par la France, et notamment par la République française.




Pourquoi un tel déni de réalité face au génocide de Vendée ?


J. Villemain s’appuie sur François Furet pour proposer l’explication suivante : "La Révolution française c’est la « vieille divinité mère », une sorte d’événement historique quasi magique, quasi théophanique, établissant pour les générations futures la base de l’espérance d’un avenir meilleur. Dire que la Révolution a été le cadre d’un génocide reviendrait ainsi à en nier la validité" [8]. La Révolution est en effet comme une mère dans la conscience collective moderne : cela saute yeux à la lecture de Marcel Pagnol dans ses Souvenirs d’enfance : « La République, fille de la Révolution, mère de toutes les libertés ». On y voit comme une résurgence du religieux chez les rationalistes laïcs, avec cette divinité-mère semi-consciente, semi-inconsciente.


À partir du moment où des historiens font savoir qu’au sein du mythe fondateur créateur de toutes les libertés se cache un génocide (de même nature, toute proportion gardée, que les génocides perpétrés par les nazis et par les Turcs contre les Arméniens), la Révolution française perd son statut de modèle intouchable. Regarder avec lucidité ce qui s’est réellement passé durant la guerre de Vendée revient à mettre à mal le grand paradigme de la Révolution française, comme matrice même de la République. La conscience collective veut bien reconnaître certaines atrocités de la Terreur, mais celles-ci ne peuvent être perçues que comme limitées (un égarement momentané des "Sans-culottes"). Ce ne serait qu’un mal nécessaire qui n’entacherait en rien la valeur fondatrice de la Révolution française. Nous avons affaire à une sorte de tabou religieux. Pour preuve, les réactions viscérales à la sortie du film Vaincre ou mourir, des interprètes manichéens et simplistes de l’Histoire que sont actuellement les gauchistes du Monde et de Libération.


Personnellement, il me semble qu’on peut rester fidèle à la lecture hégélienne de l’Histoire : la Révolution française reste un moment-phare de l’Histoire, comme avènement du principe chrétien de la liberté universelle au sein même des institutions étatiques. Cependant, un tel avènement ne représente qu’une étape très imparfaite, non pas un paradigme, non pas une mère, non pas un modèle absolu :


La conscience de la liberté s'est levée d'abord chez les Grecs, c'est pourquoi ils furent libres. Mais les Grecs, tout comme les Romains, savaient seulement que quelques-uns sont libres, non l'homme en tant que tel. Cela, Platon et Aristote l'ignoraient ; c'est pourquoi non seulement les Grecs ont eu des esclaves dont dépendait leur vie et aussi l'existence de leur belle liberté ; mais encore leur liberté elle-même fut une fleur périssable, bornée, contingente et a signifié aussi une dure servitude pour tout ce qui est proprement humain. Ce sont les nations germaniques qui, les premières, sont arrivées, par le Christianisme, à la conscience que l'homme en tant qu'homme est libre, que la liberté spirituelle constitue vraiment sa nature propre. Cette conscience est apparue d'abord dans la religion, dans la plus intime région de l'esprit ; mais réaliser ce principe dans le monde profane, fut une autre tâche, dont l'accomplissement a exigé un long, un pénible effort d'éducation. Ainsi, par exemple, l'adoption du christianisme n'a pas entraîné immédiatement l'abolition de l'esclavage ; la liberté n'a pas aussitôt régné dans les États ; les gouvernements et les constitutions n'ont pas été d'emblée rationnellement organisés ou même fondés sur le principe de liberté. C'est cette application du principe aux affaires du monde, sa pénétration et les transformations qu'il y apporte, qui constituent le long processus de l'Histoire. Hegel, La Raison dans l’Histoire, 10/18, p. 83-84.


L'Histoire est à la fois logique et spirituelle, selon Hegel, passant du particulier (quelques hommes sont libres, stade gréco-romain de la conscience de la liberté) à l'universel (tous les hommes sont libres en droit et par nature). C'est la Révélation chrétienne qui a permis ce passage du particulier à l'universel - passage qui avait échappé aux hommes les plus intelligents de l'Antiquité, Platon et Aristote. Remarque: "les nations germaniques" (France, Angleterre, Allemagne, etc.) dont parle Hegel ne sont pas toutes des républiques. L'important n'est pas tant d'avoir éliminé des rois ou des princes que d'avoir mis en place un système parlementaire garantissant la liberté politique de tout individu au sein de l’État.


Quoi qu’il en soit, la guerre de Vendée révèle que l’intention totalitaire et mortifère apparaît dès que la République française se heurte à d’importants mouvements de résistance. Il existe, par conséquent, une tentation totalitaire liée au grand projet rénovateur des Lumières, dont est issue la Révolution française, dont il nous faut évidemment nous prémunir.


Le génocide vendéen a fait 170 000 morts. Entre 21 et 23% de la population de la Vendée militaire investie par les forces républicaines.


J. Villemain (p. 295) : "Les recherches les plus récentes aboutissent à la conclusion qu’il y aurait eu durant la guerre de Vendée jusqu’à 200 000 morts, les chiffres seraient d’environ 170 000 Vendéens, essentiellement des non-combattants (femmes, enfants, vieillards) et d’environ 30 000 « Bleus » (essentiellement des militaires). Le rapport est donc, non pas égal, mais de 1 à 5 ou de 1 à 6".



Modeste pancarte rappelant le souvenir des "noyades de Nantes"


En cet endroit, durant l’hiver 1793-1794, furent entassés dans des embarcations des milliers de personnes de toute origine : prêtres, religieux, religieuses, agriculteurs, artisans, commerçants, plus de 300 enfants, des femmes, des vieillards afin d’être noyés dans ce fleuve baptisé "torrent révolutionnaire" ou "baignoire nationale".

Cette décision fut prise et appliquée à partir du 16 novembre 1793 par Jean-Baptiste Carrier, proconsul de la République, représentant en mission de la Convention. Il s’agissait de désengorger les prisons de Nantes, rapidement et à faible coût. Sur ces sept à huit mille personnes, seul un prêtre survécut. La Terreur fit à Nantes plus de vingt mille morts.

La proximité de ces deux lieux de souvenir, avec tant de dissemblance, mériterait que l’on y réfléchisse pour que les noyades de Nantes ne soient pas considérées comme un fait divers de l’Histoire.

Source : Ouest-France – Mardi 22 mai 2018




Un Oradour-sur-Glane en Vendée ?


Le 28 février 1794, aux Lucs-sur-Boulogne, les chefs et la soldatesque des "Colonnes infernales" de Turreau s’étonnent de ne trouver aucun homme au village. Pour cause, les hommes du village ont rejoint l'armée vendéenne menée par Charrette. Le massacre peut commencer : le curé est éventré, les vieillards tués à coups de baïonnettes, l’église dans laquelle se sont réfugiés les femmes et les enfants est incendiée. Il y aura 564 morts et aucun survivant.


le Mémorial de la Vendée témoigne de cet événement. À l'occasion de son inauguration, le 25 septembre 1993, Alexandre Soljenitsyne a prononcé un discours, dans lequel il fit un parallèle entre l'esprit qui animait les hommes politiques appliquant la Terreur et le totalitarisme soviétique.


De même, le parallèle avec les exactions menées par la division "Das Reich" à Oradour-sur-Glane saute aux yeux.




Extrait d’un discours attribué à Charrette


Charrette aurait prononcé, dans un discours à ses officiers, ces propos flamboyants :


Notre Patrie à nous, c’est nos villages, nos autels, nos tombeaux, tout ce que nos pères ont aimé avant nous. Notre Patrie, c’est notre Foi, notre terre, notre Roi… Mais leur Patrie à eux, qu’est-ce que c’est ? Vous le comprenez, vous ? Ils veulent détruire les coutumes, l’ordre, la tradition. Alors, qu’est-ce que cette Patrie narguante du passé, sans fidélité, sans amour ? Cette Patrie de billebaude et d’irréligion ? Beau discours, n’est-ce pas ? Pour eux, la Patrie semble n’être qu’une idée ; pour nous elle est une terre. Ils l’ont dans le cerveau ; nous l’avons sous les pieds… Il est vieux comme le diable, le monde qu’ils disent nouveau et qu’ils veulent fonder dans l’absence de Dieu… On nous dit que nous sommes les suppôts des vieilles superstitions ; faut rire ! Mais en face de ces démons qui renaissent de siècle en siècle, sommes une jeunesse, Messieurs ! Sommes la jeunesse de Dieu. La jeunesse de la fidélité ! Et cette jeunesse veut préserver pour elle et pour ses fils, la créance humaine, la liberté de l’homme intérieur… »

(Discours de Juin 1795, cité par Michel de Saint-Pierre in Préface de Charrette, chevalier du Roi, 1977, p. 13, Éd. Folio Poche).



Avec ce discours, qu’il soit authentique ou réécrit, se présente d’une manière très claire l'opposition paradigmatique, entre, d’un côté, un haut représentant d'un patriotisme profondément enraciné, fondé sur les valeurs de la terre, de la foi, de la royauté millénaire et de la liberté intérieure de croire, et, de l’autre, les représentants de la culture dite des Lumières, voulant faire table rase des traditions et des coutumes. Charrette voit à juste titre qu'il s'agit d'imposer une conception intellectuelle de la société, née dans "le cerveau" des républicains.


Les révolutionnaires de la Convention sont dans l’"idée" abstraite, ils sont déracinés, ils ne sont pas dans le vécu de la tradition. Tout le conflit vendéen se joue sur cette opposition. Le renversement qu’opère Charrette consiste à montrer que la République pourtant nouvelle incarne déjà la vieillesse du monde, l’éternel retour des forces du mal (dès lors qu’elle autorise les massacres des femmes, enfants et vieillards), alors que les Vendéens incarnent la vraie nouveauté, l’homme nouveau, régénéré par la foi chrétienne. Il ne s’agit pas de s’abandonner aux superstitions (critique bien trop facile: il faudrait plutôt en rire !) : Charrette invite les patriotes vendéens à vivre intérieurement le message chrétien qui amène l’homme à se dépasser, à être libre, plutôt que de se laisser aller aux plus bas instincts de la nature humaine. La foi est fidélité au moment où l’histoire humaine bascule dans l’horreur.


Finalement, le totalitarisme ne serait-il pas la maladie sénile du socialisme ou de l’égalitarisme ? N’autorise-t-il pas au nom d’une pseudo-liberté imposée à tous le déchainement des forces les plus violentes, les plus primaires et les plus anciennes de la nature humaine ?


Dès lors que les républicains de la Convention se perçoivent comme étant les représentants du parti du bien, tout leur est permis. Si leur projet de la nouvelle société idéale trouve des poches de résistance, tout doit être mise en œuvre au nom du Peuple ou du progrès pour exterminer les fauteurs de troubles. Jean Marguerite Nicolas Bachelier, ancien président du Comité révolutionnaire de Nantes, a avoué ceci: "nous étions tous enfiévrés, nous croyions que quand on agit pour le Peuple, rien ne peut être mal, erreur ou crime".




La mort de Charrette


Traqué comme un loup pendant des mois par les forces républicaines innombrables, le chef vendéen finit par être capturé dans le bois de la Chabotterie en mars 1796.


Que d’énergie dépensée pour rien ! lui dit le général Travot . "Rien ne se perd, Monsieur, jamais… Nous sommes la jeunesse du monde", lui répond Charette. Emmené à Nantes, promené dans les rues comme une bête de foire, jugé sommairement et condamné à mort le 29 mars, Charette, refusant qu’on lui bande les yeux, commande lui-même le feu. " Ajustez bien ! C’est ici qu’il faut viser un brave !” lance-t-il à l’adresse du peloton d’exécution, en montrant son cœur…


Napoléon : "Charette me laisse l’impression d’un grand caractère, je lui vois faire des choses d’une énergie, d’une audace peu communes ; il laisse percer du génie".




Remarques sur la qualité du film



Je répète que je ne suis pas connaisseur en art cinématographique. Cependant, le problème n'est pas là. Comme le dit le proverbe : "alors que le sage montre la lune, les imbéciles ne voient que le doigt". L'important est que le film transgresse un tabou, un non-dit, pour que vérité soit faite au bout de 230 ans. Il serait temps de regarder la réalité en face sur ce qu'a été pendant 16 mois (28-juillet 1793 - 2 décembre 1794) notre belle Révolution française.







Il n'empêche qu'en tant que profane, je dis ceci : l'acteur principal, Hugo Becker, est très bon, très crédible. Les costumes et la reconstitution historique soignés. Le rythme du film est soutenu, captivant. Les scènes de bataille sont acceptables (grâce à expérience acquise par les scénaristes et les acteurs du Puy du Fou), en dépit du faible nombre de figurants.


Le projet d'extermination est retracé. L'énigme d'un marché secret avec la fausse promesse de la remise du petit Louis XVII aux insurgés paraît assez plausible.


Par ailleurs, je n'ai pas trouvé de complaisance morbide chez les réalisateurs, à s'attarder sur les scènes de massacres de populations. Le film reste assez discret suggérant plus que décrivant dans le détail. Peut-être aussi par faute de moyens (film à petit budget, 3,5 millions). Un bon film qui mérite d'être vu par tous les passionnés d'histoire.


J.-L. P

11/02/2023



[1] Remarque : l’interview de Jean-Clément Martin, à sa demande, a été effacée des entretiens qui introduisent le film, puisque le docu-fiction prévu au départ est devenu un film historique à part entière, un long métrage. Le contrat ayant été rompu, J.-C. Martin s'est désisté.


[2] Article à la une de Libération du 24 janvier 2023 dans le but de démolir le film, ayant plutôt contribué à le faire connaître. Pour une analyse politico-sociologique de cet article totalement ridicule (qui témoigne à lui seul de l'inculture et de l'ampleur du déni de réalité chez les journalistes manichéens de la doxa), on peut visionner l'excellent éditorial de Charlotte d'Ornellas : https://www.youtube.com/watch?v=wV4T17I6nLs.


[3] Raynald Secher a donné une interview dont je retranscris certains extraits, au cours de laquelle il propose une récapitulation sur ses recherches, sur les résultats de ses travaux depuis ses deux thèses d’historien (de 3ème cycle et d’État), et sur son parcours universitaire perturbé. Voir l'interview complète sur Youtube.

[4] Expression utilisée pour désigner la région des insurgés, lors de la guerre en Vendée. Répartie entre les anciennes provinces du Poitou, de l’Anjou et de la Bretagne, débordant donc largement les limites du département actuel de la Vendée, cette région comprenait également le sud de la Loire-Inférieure, le sud-ouest du Maine-et-Loire (région des Mauges) et le nord-ouest des Deux-Sèvres. L’expression "Vendée militaire" s’explique du fait que toute cette immense région était limitée par les places fortes républicaines : Nantes, Angers, Saumur, Thouars, Parthenay, Luçon, Fontenay-le-Comte et Les Sables-d'Olonne.

[5] Voir Raoul Girardet (Intervention au colloque La Vendée dans l’Histoire, 1994, dans la préface, p. III, cité par J. Villemain, Le Génocide en Vendée p. 81). R. Girardet était agrégé d’histoire et professeur à l’université Paris-I, à l’Institut d’études politiques de Paris, à l’ENA, à l’École polytechnique et à l’École spéciale militaire de Saint-Cyr. Voici ce qu’il disait en 1994 : "Il importe en effet de rappeler qu’il ne s’agit nullement, de la part des troupes de la Convention en charge de cette répression, d’une opération de « pacification » destinée à obtenir la soumission de la population insurgée, son ralliement ou sa résignation à l’ordre provisoirement établi. Le mot d’ordre très vite diffusé est celui de l’« extermination », ce que traduira de façon quasi immédiate Gracchus Babeuf par le terme « populicide », exact correspondant de notre «génocide » contemporain. Mais tout le vocabulaire couramment utilisé par l’état-major politique de la répression jacobine annonce celui des grands massacres collectifs de notre temps. Il s’agit d’« épurer », de « retrancher », de « purger », d’« anéantir »".

Remarque : le génocide vendéen n'est pas le seul génocide occulté par la conscience collective dominante (doxa) et par les autorités universitaires. Voir Tidiane N’Diaye, Le génocide voilé, Folio, 2008, concernant la traite arabo-musulmane des populations noires sub-sahariennes, qui a duré treize siècles.

[6] En 1792, Antoine François Fourcroy est élu quatrième député suppléant de Paris à la Convention nationale. Lorsque Turreau lui demande un gaz capable de tuer en une seule fois quelques centaines de Vendéens enfermés dans un lieu clos, comme une église, Fourcroy lui répond que ce gaz n’existe pas (Yves Pouliquen, Félix Vicq d’Azyr : les Lumières et la Révolution, Paris, Odile Jacob, coll. « Sciences Humaines », 2009, 240 p., 22 cm , p. 184.). Les moyens utilisés n'offriront que très peu de résultats et seront abandonnés.

[7] Voir Jacques Villemin, le génocide en Vendée. Ed. du Cerf, 2020. Voir aussi Le procès du général Turreau, pièces inédites d'un populicide. Se fondant sur une documentation de première main, largement inédite, Tanneguy Lehideux décrit la genèse de l’ordre général de massacre de la population vendéenne lors d’une réunion largement sous-estimée à Doué, juste avant le départ des « colonnes infernales » ; il insiste aussi sur la culpabilité de Carnot et plus largement du pouvoir révolutionnaire.

[8] Jacques Villemain, Génocide en Vendée, p. 437.

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